Identité
Mots imposés : accoutré, dégainer, rémunérer, révocation, apprivoisement, proclamation, sofa.
Le froid est là. Il sévit dans la région depuis peu mais s'est installé avec une rare intensité. Le tout n'est plus uniquement de s'en protéger mais d'y survivre. Accoutrée de plusieurs couches de vêtements enfilés les uns sur les autres, Lila se force à bouger. L'immobilisme, dans sa situation, est mortel. Dans le recoin de rue où elle vit désormais, son lit de carton ne suffit plus à la protéger. Cette nuit, il lui faudra chercher refuge dans un des centres mis à la disposition des personnes sans domicile fixe. Depuis la proclamation des chutes de températures, ils sont pris d'assaut par une population d'années en années toujours plus nombreuse. Plus jeune aussi. On y trouve même des travailleurs, pourtant rémunérés, qui n'arrivent pas se loger avec le fruit de leur labeur.
Le temps presse, la nuit ne va pas tarder à tomber. Au détour d'une rue, un sofa défoncé gît sur le trottoir, abandonné là par des propriétaires peu scrupuleux. Il trouvera vite preneur : elle-même serait bien heureuse de l'avoir mais comment le transporter ?. Et à qui demander de l'aide ? Elle ne connaît plus personne, ou plutôt, personne ne veut plus la reconnaître. De Sylviane, elle est devenue Lila depuis maintenant si longtemps qu'elle a du mal à se souvenir de sa révocation pure et simple de tout ce qui faisait son monde. Il lui a fallut tout apprendre : assimilation des règles de la rue, apprivoisement des ombres qui y vivent. Se faire accepter pour ne pas être dépouillée, voire maltraitée.
Le vent glacé semble s'intensifier dans la lumière déclinante. Plus que quelques rues avant d'arriver au centre. Lila allonge le pas. Autour d'elle, les gens ne traînent pas non plus. Emmitouflés dans leurs manteaux et bien protégés par d'épaisses écharpes, ils ne remarquent pas cette femme tirant un vieux cabas en tissu écossais derrière elle. Comment alors pourraient-ils deviner qu'elle y a tout ce qu'elle possède ? L'onde glacée les rendant hermétique à tout ce qui ne les touche pas directement, ils n'aspirent qu'à rentrer dans leur foyer bien chauffé, se laisser aller sur leur canapé bien confortable au fond duquel ils pourront dégainer leur télécommande, productrice de plaisirs audiovisuels infinis.
Enfin, la grande bâtisse surgit devant elle au détour d'un immeuble. Les lumières qui y brillent la réchauffent déjà à l'idée d'y retrouver chaleur et humanité. A l'idée d'y redevenir Sylviane, pour un temps déterminé.